Notre Vincent (1968-1975) :

Le 17 mars 1971 catastrophe ! Notre fils qui a 3 ans le jour même est hospitalisé en urgence. Diagnostic : Médulloblastome ➝ cancer du cervelet et de la moelle. Le Dr KOLODIER qui travaille au CEA/Grenoble à temps partiel, est chargé de sa radiothérapie après l’opération d’ablation de la tumeur. Nous nous connaissons donc déjà, et il décide de ne rien me cacher : « survie de 1 à 2 ans, si la tumeur est radiosensible ».
Après réflexions je décide de ne pas transmettre cette info, dramatique mais inutile, à Francette. Mon chef Paul PERROUD me dit : « ton fils est évidemment prioritaire. Ton boulot, avec nos collaborateurs on s’en charge. Occupe-toi de ton fils ». J’utiliserai cette offre bienvenue, partagée unanimement au labo. Je n’ai d’ailleurs pas le choix, mais je noterai soigneusement mes absences et les compenserais sous forme de droits à congés, non posés. Je suis en permanence à l’hôpital, presque 24h/24 à côté de son lit, Francette ayant la charge de Stéphane à la maison. Sombres jours, notre monde s’écroule, comme le printemps, ils n’existent plus pour nous.

Nous devons, pour Stéphane, notre petit soleil de 2 ans, faire semblant de sourire. Le neurochirurgien, Dr BARGE, nous prépare à revoir, après son intervention crânienne, un Vincent qui pourrait ne pas nous reconnaître à son réveil : « Il lui faudra peut-être quelques jours » ? Nous sommes tous 2 présents à la sortie de Vincent de la salle de réveil, vers les soins intensifs. Il nous sourit et nous demande d’une voix claire de lui apporter son Babar ! Dr Barge : « La tumeur était encapsulée, j’ai pu tout enlever, gardez espoir !».

Moment intense de félicité, de plénitude totale, partagée avec Francette. Depuis, je n’ai jamais revécu une telle expérience : Comment ai-je pu être aussi heureux avec ce que je savais ?
Frédéric LENOIR propose un témoignage, que je fais totalement mien : « Au milieu des grandes peines, j’ai éprouvé de profonds moments de joie. Un sentiment décidément très mystérieux, qui peut cohabiter avec la plus grande souffrance, et même nous aider à la supporter. Accueillir la joie au milieu des peines nous fait vivre pleinement. La joie est nécessaire quand règne la souffrance. Elle nous fait ressentir avec force la puissance de la vie, au cœur même de sa dimension tragique. C’est l’un des sentiments les plus puissants que l’on peut connaître. »

En cours d’années, Vincent réapprendra à marcher, à faire du vélo. Des voisins, pas au courant de notre histoire, me trouvent très sévère. De fait, il me fait une confiance totale, je n’ai pas besoin de montrer aucune forme d’autorité. Lors de nos consultations régulières à l’hôpital, avant d’obtempérer aux sollicitations des soignants, par un simple regard il me demande s’il doit leur obéir ?
Cela depuis un jour de double rendez-vous, à 8 h avec l’Ophtalmo pour un « fond d’œil », puis à 10 h pour une ponction lombaire (traumatisante, pour nous 2, comme pour l’infirmière et le médecin !). Après 2 h d’attente inutile je décide d’aller faire faire la ponction, j’en avertis l’infirmière. A notre retour, affolée elle me dit : « Vite, vite, le Dr aujourd’hui c’est le chef du service, il est furieux d’être contraint de vous attendre ».

Alors que ce dernier veut m’apprendre à respecter les Pontes, je lui coupe la parole et lui conseille fortement de regarder notre dossier avant d’aller plus loin. De cet épisode, Vincent me gardera une image de Commandeur. C’est ce même jour qu’il me surprendra pendant notre retour à la maison, vers midi, en disant « Tu n’as pas pu aller travailler ce matin. Qu’est-ce qu’il va dire ton patron ? ». Il n’a que 4 ou 5 ans !
Après la chimio, il a perdu totalement ses cheveux. Lors d’une visite d’amis, il note leur surprise et nous en fait une en se précipitant vers notre bibliothèque, d’où il sort mon album photos de Ker, l’ouvre à la page ou j’ai le crâne rasé pour la fête la « midwinter ». Il montre fièrement ma photo : « Regarde, je suis comme mon papa » !
Il nous a quitté en août 1975 à 7,5 ans d’âge, … mais adulte dans sa tête, je crois ? Il nous a probablement protégé, en ne nous disant pas tout ?