CROISSANCE – DÉCROISSANCE
Mon vécu de la croissance économique.
Obsession de la poursuite de la croissance ; suis-je prêt à vivre la décroissance ?
Ai-je peur de perdre ce que j’ai maintenant ?
Porquerolles, 6 avril 2014
14 présents
Quand je vois grossir le volume de déchets quotidiens, je conclus à la gabegie. La mécanisation et la dépendance à l’énergie me semblent inévitables et je pense que notre société est fragile. Il faudra que la décroissance soit lente, sinon ce sera la guerre ; mais on peut s’en sortir, car on sort bien des guerres. Je ne crois pas que mes enfants soient prêts à vivre comme on vivait autrefois.
Mon pays natal est toujours en décroissance. Dès que je suis arrivée dans une France en croissance, j’ai pensé que ça ne pouvait pas durer à cause du train de vie élevé que j’observais. J’adopte le principe que disait mon père : il faut dépenser moins que ce que l’on gagne. Je n’ai pas de gros besoins, à l’exception de l’argent des voyages pour aller voir mes parents.
Ma vie n’a été pilotée que par des alternances de croissance décroissance personnelles : difficultés économiques de mes employeurs, besoin permanent de m’adapter en fonction de contraintes économiques. Je trouve ça assez frustrant. Je souhaite à mes enfants d’être plus flexibles, de savoir s’adapter aux changements du monde et d’accepter de travailler plus pour le même revenu.
De mes copains d’école, seuls deux ont fait des études supérieures. Malgré cela les autres ont eu de belles situations, grâce notamment à la proximité de la Suisse. Je me réjouis quand même d’avoir fait des études, car la croissance se manifeste également au niveau culturel. Je trouve que les études supérieures ont perdu en qualité. Je pense que nos enfants auront plus de difficultés, mais la situation actuelle est peut être une chance pour eux. Je ne crois pas au scénario catastrophe.
La notion de ticket de rationnement m’a conditionnée. Il y avait à la maison une culture du non gâchis. J’ai vécu dans la croissance sans problème majeur, mais des drames de santé dans ma famille m’ont recalée. Je crois les personnalités intellectuelles qui tirent la sonnette sur notre utilisation des richesses et je suis sensible à notre dépendance par rapport aux autres et à l’énergie. Je ne voudrais pas être dépendante de mes enfants.
Mon pays natal n’a pas connu la guerre mondiale. Dans les années 50, tout le monde jouissait d’une forte croissance continue et fréquemment d’avantages nouveaux. On avait plutôt à choisir ce qu’on ne voulait pas, que ce qu’on voulait. Les étudiants du supérieur étaient payés, et si on arrivait à la retraite sans avoir remboursé tout l’emprunt, on était exonéré du solde. Depuis les années 90 la population accepte la réduction de la croissance. Ce qui me perturbe, c’est la redistribution vers ceux qui ne savent rien faire et la mentalité d’assisté. Je suis inquiète pour les jeunes et les vieux.
Je trouve très bien que nos enfants aient plus d’ouverture sur l’étranger. Dans ce monde fini, il faudra partager ou se battre, et ne pas rester repliés derrière nos barrières. Je crois que nos enfants le perçoivent. Personnellement, après avoir hésité, j’ai accepté la décroissance économique qu’était le départ en préretraite. J’ai vécu la difficulté de l’accès au travail quand on manque de diplômes et j’ai peur des gens qui refusent le progrès, alors que celui-ci peut se concevoir différemment d’hier.
J’ai vécu ma jeunesse dans un environnement où il y avait la culture du non gâchis et où les dépenses allaient à l’essentiel. Pas de voiture, pas de télé, mais maison, nourriture, études des enfants. J’ai voulu un niveau de vie supérieur, choisi une épouse qui travaille ; nous avons gagné de l’argent, mais je reste dans la culture du non gâchis et de la dépense durable. J’ai mesuré la vanité du conseil en gestion de patrimoine. Tant que notre train de vie n’est pas affecté, j’accepte assez facilement les mauvais résultats de placements.
Je ne suis pas inquiet pour nos enfants, car ils ne se sont pas construits comme nous et seront mieux préparés à une décroissance, même si elle doit être accompagnée de conflits.
Ma mère a été mise au travail à 10 ans par ses parents qui récupéraient ses revenus. Côté paternel, un aïeul a dilapidé toute la fortune dont il avait hérité. J’ai été élevée en pension et forgée pour travailler et réussir. Ma mère vivait dans les paillettes et m’a donné le goût du luxe et la volonté de réussir qui ont fini par me passer avec le temps. J’aime toujours les bijoux, mais je n’éprouve pas le besoin de montrer une quelconque réussite. Je ne crains pas la décroissance économique liée à la retraite. Notre fils gagne peu, mais a des plaisirs simples et peu de besoins. Notre fille, très économe au départ se lâche, mais reste raisonnable. Beaucoup de gens de notre génération ont travaillé dur pour finalement se faire jeter. C’est bien que nos enfants voient la vie autrement.
La décroissance, c’est quand on a le sentiment d’être déclassé. J’ai peur qu’une décroissance imposée laisse des traces. En matière d’éducation, j’ai profité des progrès faits dans mon antériorité. À la fac, après la peur de la confrontation avec les jeunes étudiants, j’ai été rassurée, mais je trouve la fac moribonde, à cause de l’égoïsme de certains. Je suis contente d’en profiter, mais sans espoir de pérennité. Je n’ai pas de crainte pour mes enfants : ils ont leurs ressources propres et des parcours de vie différents.
Dans la famille, il fallait tout partager, même les fruits, et il y avait la culture de l’anti gâchis. J’ai dû me payer mon permis de conduire. Mes parents en ont été surpris, après quoi ils l’ont payé à mes cadets qui ont, de façon générale, eu une vie plus facile que moi. J’ai eu des hauts et des bas en termes de travail et de ressources, au point d’être un temps travailleur saisonnier pour acquérir des droits à la retraite. À la campagne on peut vivre pour pas cher et s’habiller simplement ; je suis pour la vie simple.
Pour moi, la croissance, c’est faire plus de choses à valeur égale. Quand j’étais jeune, il fallait économiser beaucoup pour arriver à faire quelque chose. Je suis parti de rien et j’ai dû apprendre à m’en sortir ; j’ai pu économiser et je ne crains donc pas pour moi. Je pense que la croissance va s’arrêter à un palier.
Je suis d’une famille modeste, mais je n’ai manqué de rien. Mon père a construit la maison, la caravane, et réparait les autos. Je pense qu’on s’adaptera aux variations de croissance ou décroissance, mais je ne suis pas serein sur le devenir du monde ; je crains que les volontés de « piquage » des richesses l’emporteront sur celles du partage (la crise des surprimes, par exemple). La Chine est pour moi un sujet d’inquiétude.
Je suis d’accord sur le fait que notre monde est fragile et dépendant de l’énergie. Je pense qu’on n’a pas les moyens d’affronter un conflit majeur. La décroissance, c’est aussi la désillusion sur la démocratie et la république. Les idées de social démocratie qui sont les miennes ne marchent pas. C’est pour ça que je suis en décroissance.